Sivens, 25 octobre 2014 : un "engagement massif et violent des CRS (...), alors qu'il ne restait rien à protéger"
(Louise Fessard, Mediapart, 4 novembre 2014).
Un mort.
Les polémiques se déchaînent.
Certains mettent en cause la responsabilité (ou plutôt l'irresponsabilité) du jeune Rémi Fraisse qui participait à un affrontement avec les forces de l'ordre.Ses proches expliquent l'enchaînement des circonstances dans ce témoignage publié par Reporterre .
D'autres s'interrogent sur le caractère disproportionné du dispositif déployé dans la "guerre"qui oppose depuis de longs mois, pour schématiser, les pouvoirs publics à ceux qui contestent la pertinence et la légalité d'un projet de barrage. Toujours dans Mediapart (6 novembre 2014), Michel Deléan écrit : "Des grenades offensives (OF) de ce type, la plupart des gendarmes mobiles avouent ne jamais en avoir lancé. Ce sont des armes de guerre, que seul un gradé peut projeter, et encore : dans certains cas bien précis, et seulement en les jetant à terre, prévoit le règlement. Mais cette nuit du 25 au 26 octobre, dans la forêt de Sivens, environ 40 grenades de type OF sont lancées par les militaires, sur un total de plusieurs centaines d’engins divers utilisés."
Paris, 7 janvier 2015 : une protection policière qui ne parvient pas à empêcher deux terroristes de pénétrer dans la rédaction de Charlie Hebdo.
Douze morts.
Aucune polémique.
Parce que là c'est la communauté nationale dans son entier qui est frappée. Frappée au coeur. La raison attendra un autre jour pour qu'un débat s'ouvre sur ces quelques éléments :
D'une part, "il y avait en permanence des forces de police pour surveiller les lieux jusqu'en septembre dernier" selon un témoignage recueilli par Violaine Jaussent (Francetvinfo.fr, 7 janvier 2015)
Et de l'autre ce jour-là, le dispositif est tel que "deux hommes cagoulés et armés" peuvent, écrit Patricia Tourancheau dans Libération, se balader relativement tranquillement aux alentours immédiats de leur cible : "ils «se trompent de porte et cherchent Charlie Hebdo»", puis se font ouvrir la porte par une collaboratrice du journal qu'ils obligent à taper le code pour eux.
Loin de moi l'idée de laisser entendre que les services de sécurité et de renseignement auraient fauté. Auraient mal fait leur boulot face à cet attentat. Je ne le crois pas.
Si je mets en rapport ces deux événements, c'est parce que je crois simplement que ces services font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont. Et "ce qu'ils ont" - beaucoup (trop ?) à Sivens, peut-être trop peu à Charlie Hebdo - c'est politique.
Purement politique.
Deuil national oblige, il est indécent de parler de cela aujourd'hui. Trop tôt. Pas la question.
Eh bien pour moi, si, c'est la question.
Il en était question par exemple pas plus tard que dans le Canard enchaîné du 30 décembre dernier, page 3, dans l'article intitulé "La dernière balade d'un danger public" de Didier Hassoux. Le journaliste raconte qu'un homme fiché "comme un type dangereux, susceptible de commettre un attentat" et qui par conséquent "aurait dû être surveillé de très près" venait de se jeter sous un train à l'insu des services de renseignement. D'où cet aveu qui a forcément une résonnance terrible avec les circonstances tout juste évoquées de l'attentat du 7 janvier : "Il faut de 10 à 12 personnes pour surveiller un suspect 24 heures sur 24. Or nous manquons d'hommes et de financement", expliquait la sénatrice Nathalie Goulet spécialiste de la lutte contre les réseaux djihadistes.
Alors les terroristes de Charlie Hebdo : l'étaient-ils, suspects ? Font-ils partie de ces individus que l'État a la volonté... Mais pas les moyens de surveiller assez efficacement pour les empêcher de passer à l'acte ?
En tout cas, il n'a pas fallu 24 heures à la police pour identifier les coupables présumés.
En tout cas, l'un d'eux au moins avait un passé d'aspirant terroriste qui avait déjà fait couler de l'encre : voir cette histoire exhumée par P. Tourancheau encore, encore dans Libération, en 2005...
Donc suspects, je ne sais pas. Mais visiblement pas sortis de nulle part.
Alors quand je lis le genre d'activités de très très basse politique à laquelle les forces de l'ordre doivent se consacrer par ailleurs...
Toujours en lien avec les mobilisations écologistes actuelles, il y a par exemple ce témoignage d'un homme empêché d'aller manifester par l'intervention de policiers en civil. "Fouillé de force", il a été déféré au tribunal pour avoir transporté un couteau à huîtres qu'il dit avoir "oublié" dans son sac.
"Terroriser les terroristes", disait Charles Pasqua.
Beau programme.
Mais si l'État n'a pas les moyens, il devrait peut-être cibler le "terroriste" avec un souci plus clairvoyant de l'intérêt général.
"L'ennemi intérieur" contre lequel la France mobilise sa force publique et sa propagande, ce ne peut pas être des gens qui n'ont tué personne et qui se battent aussi pour obliger l'État à respecter la légalité... comme le rappelle cet inventaire des conflits d'intérêts et petits arrangements entre amis qui entourent le projet de Sivens - entre autres dossiers douteux.
"L'ennemi intérieur", il y en a un aujourd'hui. Un seul. Et il vient de commettre un crime contre la liberté d'expression.
La liberté d'expression, oui. Laisser s'exprimer les gens avec qui on est pas d'accord, tout ça.
Très politique, la liberté d'expression.
Alors ce qui serait beau, de la part de l'État, c'est qu'il réponde aux auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo sur ce terrain. Ils ont peur de la liberté d'expression ? Soutenons-la.
Ce pourrait être un geste pour Le Monde diplomatique qui vient de se faire sucrer ses aides tandis que Closer et autres Télé Z se gavent.
Ce pourrait être un geste pour Acrimed dont le travail de critique des médias demeure, aux yeux de l'administration (fiscale), trop "militant" pour être vraiment "d'intérêt général" ...
Il y a beaucoup à faire, vraiment. Les médias alternatifs, en particulier, ont besoin de la mobilisation de tous pour continuer de nous éclairer. Et l'État, on le voit, a un rôle à jouer pour les empêcher de crever pour de bêtes histoires de porte-monnaie.
En mémoire des victimes de Charlie Hebdo, je souhaite que le Gouvernement s'engage dans ce combat pour le pluralisme et la liberté d'expression.
En mémoire des victimes de Charlie Hebdo, je souhaite aussi que le Gouvernement comprenne qu'il ne faudra plus se tromper d'ennemi désormais.
J'ai d'énormes réserves sur la ligne éditoriale de ce journal. Mais ils ne sont pas les derniers à se préoccuper de l'écologie. Et même si je ne les lisais plus depuis longtemps, je pense qu'ils ne sont ou n'auraient pas été (pour les défunts) forcément très chauds à l'idée qu'un attentat à leur encontre puisse devenir le prétexte à un durcissement des lois sécuritaires.
On n'a pas besoin d'être davantage fliqués. On veut être bien fliqués et pour une bonne cause.
Et ça, Mesdames et Messieurs les politiques, je souhaite qu'une belle et saine polémique vous le rappelle très prochainement.